« Avec mes camarades nous avons été jugé ce matin à Fresnes, et comme je
m’y attendais, nous avons tous les vingt-cinq été condamnés à mort. » «
Adieu la mort m’appelle. Je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous
embrasse tous, c’est dur quand même de mourir…» Pour le reste, tu as
vécu ma vie. Elle fut tragique et j'étais marqué par le destin, mais
nous nous sommes bien aimés, n'est-ce pas, ma grande chérie ?...» Léon
Jost, Gabriel Péri, Henri Bajtsztock, Guy Môquet, René Bompain, Louis
Honoré d’Estienne d’Orves, Tony Bloncour, ils sont des milliers de
résistants, célèbres ou anonymes, fusillés pendant l’Occupation,
victimes des Allemands et de Vichy. La veille de leur exécution, ou à
quelques heures de mourir, ils adressent à leur famille, à l’être aimé,
à un(e) ami(e) leur dernière lettre. Ils parlent pour les milliers
d’autres - les massacrés, les déportés, les victimes d’exécutions
sommaires - qui sont morts sans laisser la trace d’une dernière parole.
Leurs lettres ont été parfois retenues par la censure, parfois
transmises aux destinataires par la voie officielle, souvent aussi
passées par des aumôniers, français et allemands, par des gardiens de
prison, par des avocats qui agissaient au péril de leur vie. Ces 130
lettres de résistants fusillés proviennent des collections du Musée de
la Résistance nationale (à travers les versements de l’Association des
familles de fusillés et des Amicales des anciens prisonniers des
centrales françaises), des Archives nationales, des musées et
bibliothèques de région parisienne et de province, enfin de familles.
Elles sont inédites aux deux tiers (celles déjà publiées avaient, en
outre, fait l’objet de coupes et d’une réécriture). On y lira un
portrait de la Résistance. Des hommes - les femmes ont très rarement été
fusillées en France - de tous âges (seize à soixante ans) ; de tous
milieux, même s’ils sont généralement issus des classes populaires ou
des professions libérales ; de toutes origines, Français, Italiens,
Espagnols, Arméniens, Polonais... Tous ne sont pas, contrairement à la
terminologie nazie et vichyste, des « partisans », des « francs-tireurs
» : ils sont, le plus souvent, envoyés à la mort comme otages, pour
distribution de tracts ou actes de solidarité. Ils appartiennent à tous
les partis, si tant est que la notion d’idéologie ait un sens dans
l’action résistante. Car comment qualifier un curé de campagne, des plus
traditionnels, engagé dans les FTP communistes ? Ces lettres de la
dernière heure constituent un acte de résistance. Elles sont destinées à
être lues, répétées, au sein de la famille, et dans un cercle plus
large. Ces hommes se tiennent debout, sans regrets, face à la mort. Ils
redisent inlassablement leur amour à ceux qui resteront. Ceux-là,
surtout, les préoccupent : de quoi vivra leur femme, leurs enfants
feront-ils de bonnes études, trouveront-ils un bon métier ? Ils parlent
philosophie, foi, sacrifice, ils apprivoisent la mort. Souvent, ils nous
étonnent. Fertet, un gamin fusillé à Besançon, répartit bouquins et
soldats de plomb. Beck, un communiste polonais, s’étend sur
l’ordonnancement posthume de son jardin. À quelques heures du trépas,
ces combattants de la liberté livrent une inoubliable leçon de ténacité,
de courage, de dignité.